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La psychologie immersive

La capacité de la Réalité Virtuelle à simuler la réalité améliore considérablement l'accès aux thérapies psychologiques et améliore les résultats des traitements. A côté des thérapies réelles classiques, la Réalité Virtuelle apporte de nouvelles perspectives : capacité à contrôler l’environnement, à programmer le traitement, à s’adapter à l’individu et à pouvoir répéter les scénarios.

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Exemples pratiques

Daniel Freeman, professeur de psychologie clinique au département de psychiatrie de l'Université d'Oxford, a étudié 285 études menées ces 25 dernières années sur les liens entre la Réalité Virtuelle et la santé mentale, dont une forte majorité concernait le trouble de l’anxiété.

Dans cette étude, Virtual reality in the assessment, understanding, and treatment of mental health disorders (Cambridge University Press, 2017), il a cherché à comprendre et démontrer le potentiel de la Réalité Virtuelle pour agir sur les problèmes de santé mentale. Il a constaté que les problèmes de santé mentale sont indissociables de l’environnement.

La Réalité Virtuelle permet d’une part, de mieux comprendre les troubles vécus par le patient et d’autre part, offre de nouvelles opportunités de soins par la répétition des situations problématiques permettant d’apprendre à surmonter les difficultés rencontrées.

De plus, il apparait que la qualité du contenu et de l’immersion proposée forme un critère clé de la réussite de ces nouvelles formes de traitements thérapeutiques, autrement appelées « psychothérapies VR ».

La psychothérapie immersive

La réalité virtuelle (RV) offre aujourd’hui un nouveau paradigme d’interaction homme-machine dans lequel l’utilisateur n’est pas considéré comme un simple agent externe observant des images défilant sur un écran, mais comme un acteur participant activement à la construction et à la transformation d’un monde virtuel en trois dimensions.

 

Ce n’est que très récemment que les psychothérapeutes se sont saisis des possibilités offertes par la RV. Les thérapies comportementales et cognitives nécessitent en effet de recourir à des situations souvent difficiles et coûteuses à réaliser dans le cas de traitement des phobies, par exemple (voyage en avion, public d’un auditorium, réunion d’un conseil d’administration, grand magasin, etc.). Les technologies du virtuel permettent de simuler de telles situations et d’exposer les patients à ces situations tout en en contrôlant les caractéristiques. Le patient lui-même peut déterminer les caractéristiques des environnements auxquels il s’expose et apprendre lui-même à faire face au stress que ceux-ci lui procurent.

 

Après avoir présenté quelques études princeps dans le domaine des thérapies utilisant le virtuel, nous rappellerons les bases théoriques et méthodologiques des thérapies comportementales et cognitives qui fondent de tels usages. Cela permettra de cerner l’intérêt et les limites de l’utilisation de la RV en psychothérapie.

QUELQUES ÉTUDES PRINCEPS : L’EXEMPLE DES PHOBIES

C’est principalement dans le traitement des phobies que l’utilisation de la RV a été expérimentée et évaluée. La phobie est définie comme une peur irrationnelle, une appréhension non justifiée, obsédante et angoissante. Les phobies, car elles sont nombreuses, surviennent généralement dans des circonstances déterminées, toujours les mêmes pour le même individu. Elles se traduisent par une peur exagérée d’objets, de situations ou de fonctions corporelles qui pourtant ne sont pas du tout dangereux en soi et qui, en fait, ne sont pas la cause réelle de l’angoisse. Le comportement phobique concerne une variété considérable d’objets. A titre d’exemples, nous aborderons trois types de phobies assez répandues : la phobie de l’avion, de la foule (agoraphobie) et la peur de parler en public.

La phobie de l’avion (aérophobie)

Deux études de cas ont été menées pour évaluer l’efficacité de la RV en psychothérapie dans le traitement de la phobie de l’avion. La première de ces études fut conduite auprès d’une jeune femme de 32 ans (North et North, 1994). La scène virtuelle utilisée pour traiter sa phobie était une ville vue du ciel. La thérapie s’est déroulée au cours de huit séances de trente minutes chacune. La patiente rapporte un haut niveau d’anxiété à chaque début de séance, pour ensuite diminuer progressivement. Afin d’évaluer le bénéfice de la RV dans le monde réel, la patiente a été confrontée à une situation réelle, accompagnée de son thérapeute pendant dix minutes : l’exposition consistait à survoler, en hélicoptère, la plage du golfe du Mexique. Tout comme pendant les séances sous virtuel, la patiente ressentit une forte anxiété au début du vol, puis l’anxiété a diminué rapidement pour atteindre un niveau acceptable pour elle. Un suivi ambulatoire de plusieurs mois mené par un psychologue clinicien a permis de confirmer le maintien d’une amélioration symptomatique chez cette patiente (North et coll. 1996a; North et coll. 1996b; North et coll. 1997).

 

La seconde étude de cas a été conduite auprès d’un homme de 42 ans. Amené à voyager souvent, sa peur de l’avion l’empêchait d’avoir une activité professionnelle normale. Accompagné de son thérapeute, il fut placé dans le cockpit d’un simulateur de vol. La thérapie s’est déroulée sur cinq séances. Au cours des séances, le patient a eu l’opportunité de s’exposer aux situations sources d’anxiété et d’expérimenter un certain nombre de sensations physiques et émotionnelles. L’utilisation de la RV, dans une première phase de la prise en charge psychothérapique, s’est traduite par une réduction significative de l’anxiété et a permis au patient de faire face à la situation phobogène dans le monde réel (North et coll. 1996a; North et coll. 1996b; North et coll. 1997).

L’agoraphobie

L’expérience rapportée ci-après peut être considérée comme princeps concernant l’étude de l’efficacité de la RV dans le traitement des troubles psychologiques. Elle porte sur l’agoraphobie définie comme la peur de se retrouver dans des endroits ou des situations d’où il pourrait être difficile (ou gênant) de s’échapper (DSM-IV, APA 1994). Pour cette étude, soixante sujets ont été sélectionnés. Trente sujets placés dans un groupe expérimental et trente autres dans un groupe « contrôle ». Seul le groupe expérimental fut soumis aux scènes anxiogènes sous RV. Les résultats montrent une amélioration des symptômes chez les patients du groupe expérimental en comparaison avec le groupe contrôle, et notamment une diminution de la conduite d’évitement de la situation phobogène. Cette étude a été largement développée dans diverses publications (North et North 1994; North et coll. 1995a; North et coll. 1995b; North et coll. 1996c).

La peur de parler en public

La peur de parler en public est majeure dans la phobie sociale. Le sujet est saisi d’une peur persistante et intense dès lors qu’il est en contact avec des gens non familiers qui le regardent et peuvent d’adresser à lui. Le sujet craint d’agir de façon embarrassante ou humiliante (DSM-IV, APA 1994). Nous développerons ici la première étude contrôlée menée à propos de cette pathologie (North et coll., 1998). Elle concerne des sujets recrutés par l’intermédiaire de l’université Clark d’Altanta. Après une première sélection, six sujets répondant aux critères de phobie sociale furent sélectionnés et inclus dans un groupe expérimental apparié à un groupe contrôle constitué de sujets non phobiques sociaux. Les sujets du groupe expérimental étaient dans l’incapacité de participer oralement ou de prendre la parole, que ce soit en classe, à des réunions ou lors de conférences.

Pour l’occasion, un auditorium virtuel a été conçu. Il était constitué de trois rangées de chaises pouvant contenir plus de cent personnes et d’un podium en bois surplombant l’auditoire. Pour plus de réalisme, un haut-parleur était branché pendant les séances, permettant aux participants d’entendre l’écho de leur voix. En effet, on sait aujourd’hui que l’usage d’éléments, même irréalistes, soigneusement choisis et habilement mis en scène permet une immersion [1][1]L’immersion se définit par la possibilité qu’a un individu… suffisante pour déclencher des réactions se rapprochant des comportements qu’auraient les sujets dans la situation réelle correspondante.

1Dans cette recherche, les participants étaient munis d’un casque permettant “l’immersion” dans l’auditorium. Ils étaient placés debout derrière le podium virtuel, face à l’auditoire. Au cours des séances, ils ont pu expérimenter diverses sensations physiques et émotionnelles (semblables lors d’exposition in vivo) liées à la situation telles que tachycardie, douleur thoracique, transpiration, tremblements, etc.

11Les résultats de cette étude portant sur la peur de parler en public indiquent une baisse significative de l’anxiété et des symptômes phobiques chez les participants du groupe expérimental comparés aux sujets du groupe contrôle.

LES THÉRAPIES COMPORTEMENTALES ET COGNITIVES

Les études utilisant la RV dans un but psychothérapique se sont largement appuyées sur les postulats théoriques et méthodologiques de ces thérapies. Contrairement à d’autres types de prises en charge, les thérapies comportementales et cognitives sont très codifiées (brèves, centrées sur “l’ici” et le “maintenant”, attentes de résultats, etc.). Dans un souci d’efficacité et de revendication de scientificité, elles évaluent constamment leurs pratiques.

Principes et techniques des thérapies comportementales

Elles reposent essentiellement sur le modèle du conditionnement. Globalement, elles sont basées sur le principe selon lequel les difficultés présentées par les patients ont été apprises et qu’il est possible de les désapprendre. Pour les comportementalistes, beaucoup de symptômes présents dans les troubles psychiatriques peuvent être causés ou maintenus par le biais de trois grandes familles de conditionnement.

1. Le conditionnement classique ou pavlovien

Les états de stress post-traumatique en sont un exemple : une patiente ayant été agressée par un homme a une crise d’angoisse, huit jours après, dans le métro, déclenchée par la présence d’un homme à côté d’elle ayant la même lotion d’après-rasage que son agresseur. L’intensité du choc est tellement grande dans le stress post-traumatique que ce type de phénomène est fréquemment observé : tous les stimuli présents au moment de l’agression peuvent ensuite être associés à l’état anxieux survenant au moment de l’agression. Il a en effet été montré que le conditionnement est dépendant de l’intensité du stimulus déclencheur. Des stimuli de faible intensité doivent être répétés pour déclencher un phénomène de conditionnement, alors qu’un seul stimulus de grande intensité, comme une agression, peut suffire. Les névroses post-traumatiques peuvent ainsi s’installer à l’issue d’une seule expérience traumatique.

2. Le conditionnement opérant

Il permet de rendre compte des conduites d’évitement rencontrées chez les phobiques. Par exemple, un patient phobique ayant peur des pigeons, a tendance à fuir quand il en rencontre un. L’évitement de l’objet anxiogène permet une diminution de l’angoisse. Le comportement de fuite se trouve ainsi renforcé par les effets positifs qu’il produit, la diminution de l’angoisse. Ce comportement entraîne alors le patient dans un cercle vicieux dont il devient prisonnier, puisque plus il fuit la situation angoissante, moins il est capable de l’affronter et plus son angoisse de la situation augmente. Les phobiques deviennent ainsi prisonniers de, leurs propres conduites (refus de sortir, auto-enfermement, etc.).

3. Le conditionnement social

Il se base sur le principe selon lequel il est possible d’apprendre un comportement sans forcément l’avoir expérimenté par soi-même, sans en avoir testé ni les avantages ni les inconvénients, mais par la simple observation d’une personne présentant ce comportement (Bandura, 1977). Pendant les séances, le thérapeute montre au patient le comportement qu’il souhaite lui voir adopter.

Les techniques d’exposition

Les stratégies d’exposition sont un peu le noyau dur des thérapies comportementales. Historiquement, elles ont été les premières à être utilisées, et restent particulièrement importantes pour les thérapeutes, car particulièrement efficaces pour les patients. Le principe de base de l’exposition est très simple, et s’applique surtout aux troubles anxieux : éviter ce qui fait peur accroît la peur, et l’entretient; au contraire, la confrontation à ce qui fait peur va diminuer la peur, dans certaines conditions. Cette confrontation s’effectue selon certaines règles bien strictes. L’exposition doit être progressive, prolongée et complète. Il y a ainsi toute une graduation dans l’autonomisation du patient. Une exposition mal conduite peut en effet aggraver la réponse anxieuse. Différents types d’exposition sont proposés aux patients (tableau I).

Tableau I 

Les techniques d’exposition (Cottraux 1994)

L’approche cognitive

Les thérapies comportementales se sont enrichies de l’approche cognitive, en ne s’intéressant plus seulement aux comportements, mais aussi aux “cognitions” (les contenus de pensée). Cette approche, aujourd’hui largement prise en compte dans les études utilisant la RV (Emmelkamp et coll. 2001; Vincelli et coll. 2000), repose sur la notion de traitement de l’information. En effet, lorsqu’un sujet reçoit une information, il ne la reçoit pas de manière passive mais l’interprète, l’évalue, et la distord. Ainsi, dans une situation donnée, la conduite du sujet dépend autant de la manière dont il interprète la situation que de la situation elle-même. On regroupe l’ensemble des techniques visant à modifier les croyances du patient sous le nom de restructuration cognitive.

 

Un schéma de la restructuration cognitive (figure I) est souvent montré aux patients, particulièrement aux déprimés. Un exemple leur est proposé : le patient croise dans la rue quelqu’un qu’il connaît; cette personne ne le salue pas, ne lui dit pas bonjour; comment réagit-il ? que ressent-il ? que dit-il ? Le patient, surtout s’il est déprimé, explique qu’une telle situation atteint son moral, le renforce dans l’idée que personne ne l’aime; il est en général persuadé que l’autre l’a fait exprès, qu’il n’avait pas envie de le saluer, etc. Il est alors proposé au patient de réfléchir aux facteurs qui déclenchent son désarroi dans une telle situation : est-ce la situation elle-même ou l’interprétation qu’il en a faite ? Aurait-il eu la même réaction s’il avait su que l’autre ne l’avait pas vu ou qu’il est très myope, etc. ? De tels exemples, puisés dans l’univers du patient, tendent à lui montrer l’importance de l’aspect subjectif.

Figure I

INTÉRÊTS ET LIMITES DE L’UTILISATION DE LA RÉALITÉ VIRTUELLE EN PSYCHOTHÉRAPIE

Comme nous l’avons vu précédemment, les thérapies comportementales et cognitives offrent toute une palette de techniques d’exposition. Dans le cadre de la désensibilisation systématique, par exemple, il apparaît clairement que nombreux sont les patients pour qui s’imaginer la scène anxiogène proposée est impossible. Ces difficultés sont croissantes lorsqu’ils doivent s’exposer in vivo. Ils préfèrent l’évitement qui est un bon moyen de réduire leur anxiété; de mieux vivre la gêne occasionnée par la prise de parole en public pour des patients phobiques sociaux, par exemple.

 

L’utilisation de la RV en psychothérapie semble être un outil intéressant dans la mesure où elle permet de dépasser les difficultés inhérentes au traitement traditionnel proposé. La RV propose un support de travail original aux patients étant dans l’incapacité ou presque de s’imaginer certaines scènes et/ou trop phobiques pour expérimenter en réalité les situations. Elle permet aux patients immergés sous RV de se sentir davantage en sécurité que lors d’exposition in vivo alors même qu’il a été montré que les scènes proposées leur paraissent plus réalistes que lors de désensibilisation systématique.

 

L’engouement pour cette nouvelle technique qu’est la RV en psychothérapie ne doit pas pour autant faire oublier sa complexité et les risques encourus lors de son utilisation. Selon Stanney (1995), la RV est contre-indiquée chez des patients souffrant d’attaques de panique, ayant de graves problèmes médicaux telle que l’épilepsie, ou encore chez des patients toxicomanes encore sous l’influence du toxique. North et coll. (1998) formulent des recommandations aux thérapeutes utilisant la RV :

  • le patient doit être assis sur une chaise plutôt que debout;

  • il faut utiliser un casque d’immersion permettant au patient de voir son corps, même partiellement;

  • les séances d’immersion doivent être brèves (15 – 20 minutes), dépasser cette durée risquerait d’entraîner chez le patient des symptômes physiques de malaise et de vertige.

 

A travers ces suggestions, il s’agit de tenter d’augmenter le sentiment physique et psychologique de sécurité des patients lors des séances d’exposition.

 

Les possibilités offertes par la réalité virtuelle dans le champ des thérapies cognitivo-comportementales sont nombreuses. Le maniement, guidée par le thérapeute, de scènes virtuelles, favorisant l’induction d’un état de relaxation chez le patient a montré des résultats positifs. L’immersion sous réalité virtuelle amène le patient à vivre cette expérience de façon plus réaliste qu’il ne l’aurait vécue en se l’imaginant (Vincelli et Molinari, 1998). Dans cette perspective, la réalité virtuelle devient un outil flexible, permettant de modifier et de contrôler en intensité et en fréquence les stimuli auxquels le patient est soumis. Le recours à la réalité virtuelle permet d’ajuster très exactement les situations, d’interrompre instantanément l’exposition au stress, d’en discuter les modalités et de reprendre le déroulement de la thérapie. En restant dans le cabinet du thérapeute, cela évite au patient de se donner en spectacle tout en préservant l’indispensable confidentialité.

 

Mais cette “technicisation” de la psychothérapie, aussi fascinante soit elle, n’a en aucune manière bouleversé les fondements théoriques (comportementaliste et cognitiviste) et méthodologiques sur lesquels repose la thérapie sous réalité virtuelle. Cette dernière n’a pas remplacé non plus le rôle que joue le thérapeute dans la prise en charge. En effet, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises, sa présence auprès du patient reste indispensable. Bien au contraire, il semble qu’elle ait renforcé l’alliance thérapeutique patient/thérapeute sur un mode encore plus collaboratif (Vincelli, 1999).

 

Faire de la réalité virtuelle une psychothérapie à elle seule reviendrait à négliger la relation privilégiée qui s’établit entre le thérapeute et le patient. La réalité virtuelle doit s’inscrire, à un moment donné, dans le processus psychothérapique.

Notes

  • [1] L’immersion se définit par la possibilité qu’a un individu d’être physiquement plongé dans un monde virtuel, ou du moins d’en éprouver la sensation, grâce à la faculté d’orienter son regard dans toutes les directions et d’entendre un son provenant de n’importe quel point de l’espace.

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2007

https://doi.org/10.3917/cpsy.022.0039

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